du 14 mai 2019.
Prêtre, otage de Daech en Syrie, par Anne-Bénédicte Hoffne
Le moine et prêtre syrien Jacques Mourad vient de recevoir le grand prix de l’Œuvre d’Orient pour son ouvrage dense et poignant, qui rappelle l’exigence de la fidélité au Christ même au plus fort de la guerre.
Un moine en otage. Le combat pour la paix d’un prisonnier des djihadistes de Jacques Mourad avec Amaury Guillem Éd. de l’’Emmanuel, 188 p., 17 €
Le 21 mai 2015, lorsque le père Jacques Mourad est enlevé avec un jeune postulant du monastère Mar Elian, aux portes de Ia ville de Qaryatayn, dans le nord-ouest de la Syrie, cela fait déjà quatre longues années que leur pays est en guerre.
Déclenché dans la foulée des printemps arabes, ce conflit particulièrement cruel oppose l’armée
régulière du président Bachar Al Assad aux rebelles, rejoints puis de plus en plus dominés par des groupes djihadistes.
Au fil des mois, le prêtre syrien-catholique a vu les ravages causés par ces derniers, jeunes de
Qaryatayn, «pour beaucoup issus de milieux populaires et ouvriers », devenus des «combattants d’Allah » soudainement enrichis et comblés de l’assurance « du paradis et de vierges par centaines » s’ils meurent en martyrs. « De tous les côtés, on essayait de nous entraîner dans la lutte armée. À tous, révolutionnaires ou moukhabarat (services de sécurité syriens, NDLR),armée libre ou armée officielle, nous opposions le même refus, catégorique », raconte-t-il dans ce livre, qui a reçu dimanche 12 maile grand prix de l’Œuvre d’Orient (lire aussi ci-contre).
Lui qui, à la suite du père Charles de Foucauld, a fait le choix de vivre comme chrétien au milieu et avec des musulmans et de rejoindre la communauté de Mar Moussa fondée par le jésuite Paolo Dall’Oglio, se retrouve prisonnier de l’État islamique.
Ce sont ces six mois de captivité que relate avec un extraordinaire sens du détail ce livre d’une rare densité : les conditions de sa captivité, les interrogatoires incessants sur sa foi chrétienne (auxquels il se garde de répondre trop précisément), les menaces pour qu’il se convertisse…. mais aussi les ressources spirituelles qu’il mobilise pour ne pas s’effondrer, céder à la colère ou au désespoir.
Dans les quatre murs de la salle de bains qui leur sert de cellule, entre deux interrogatoires, le père
Jacques et son fragile frère Boutros parviennent ainsi à se redire leur conviction :
«Porter les armes, lever des armées n’est jamais évangélique. (.…) La vraie paix ne s’obtient que lorsqu’on est capable de pardonner et de crier, comme Jésus sur la croix : “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.” »
Au bout de quatre mois de pression et d’angoisses continues, Jacques Mourad apprend d’un de ses geôliers que le « calife » AI Baghdadi, le chef de l’État islamique, accepte de lui laisser la vie sauve ainsi qu’à ses paroissiens enlevés eux aussi. « Est-ce encore un rêve ? Ou une de ces séances de torture morale dont j’ai l’habitude ? Je n’ose pas lui demander de répéter. (.….)
Alors que je me perds dans mes pensées, l’émir commence à lire le texte imprimé sur le document.
Après quelques versets extraits du Coran sur Jésus, il évoque Omar ibn Al khattaàb, un compagnon de Mahomet qui avait laissé la vie sauve aux chrétiens de Jérusalem qu’il avait conquise, à certaines conditions. » Parmi celles-ci, auxquelles il doit lui aussi se soumettre 1 400 ans plus tard, « ne pas professer sa foi » ni « allumer de bougies », «ne pas se vêtir comme les musulmans », ou encore «ne pas enterrer les chrétiens à côté des musulmans »… C’est parce qu’ils ont refusé de «prendre les armes contre les musulmans » par fidélité à l’Évangile que les chrétiens de Qaryatayn ont la vie sauve.
Méditation sur notre image de Dieu, sur notre humanité — y compris celle des djihadistes qui peuvent «passer de la gentillesse à la méchanceté » et en qui Jacques Mourad décèle «un combat d’une grande intensité » -, sur la force de la prière aussi… Un témoignage rare qui, sans céder jamais au manichéisme -«sionne dénonce que la violence de l’islam, on escamote une grande partie du problème », affirme l’ex-otage en soulignant aussi le rôle destructeur des interventions économiques
et militaires occidentales -, rappelle l’exigence de la fidélité au Christ même au plus fort de la guerre.